Idéologies et mythes fondateurs du web

La cybernétique,
du grec, kybernêtikê, l’art de gouverner.

Avec plus de 4 milliards d’utilisateurs à travers le monde, le web est devenu le principal levier de la société de l’information . Le développement exponentiel de l’activité conversationnelle sur les réseaux sociaux, associé à l’usage du smartphone, fait qu’on ne se représente plus une journée sans un accès internet dans nos sociétés post-industrielles. Les évolutions technologiques autour du Web ont conduit à l’intensification de la production et de la diffusion de messages avec, de ce fait, un impact considérable sur la relation sociale.

La cybernétique et le thème de la « nouvelle » société

Depuis la deuxième guerre mondiale, la cybernétique est un courant qui cherche à rendre compte de changements dans l’organisation des relations humaines à travers le monde. Considéré comme le père de la cybernétique, Norbert Wiener, mathématicien, théoricien et chercheur en mathématiques appliquées, propose une théorie de la communication dès la fin de la deuxième guerre mondiale, en démontrant la nécessité d’ériger l’information au centre de des systèmes de communication, en réponse à la faillite des idéologies politiques et traditionnelles.

La cybernétique a joué un rôle fondamental dans la réappropriation du thème de la « nouvelle société » et connait depuis quelques années un regain d’intérêt, tant celle-ci est liée au concept de nouvelle société et, ainsi, dans nos représentations idéalisées aux technologies numériques et à la notion de progrès qui y est associé.

Depuis les années 40, les utopies cybernétiques traversent les périodes afin de proposer un idéal de société dans laquelle l’intensification des échanges et de la communication permettra d’instaurer la paix et l’ordre à travers le monde. En communiquant mieux c’est à dire en levant les obstacles au développement de tout domaine de l’information, les hommes étendront leurs cultures et leurs vies et lutteront contre le chaos et la barbarie. La cybernétique consiste à affirmer que tout est formé d’information. La notion d’information tend à se confondre avec celle de communication lorsque Wiener défend la thèse qu’une société peut être comprise à travers l’analyse des messages et de leur circulation.

L’intensification des échanges favorisera la paix dans le monde

Cette vision est empreinte du déterminisme technologique. Elle induit ainsi un effet de causalité dont les informaticiens s’empareront très vite pour ériger la technologie comme à l’origine de changements socio-culturels et proposer un idéal libertarien, à savoir une « nouvelle » société transparente qui s’autorégule.

Flichy apporte également un éclairage sur les imaginaires sociaux autour du web à travers l’analyse des discours d’experts et de politiques. Ces discours sont chargés de symboles sur internet : liberté d’expression, transparence, culture du partage, gratuité, etc. Il reprend à son compte la célèbre comparaison d’Al Gore, celles des autoroutes de l’information aux routes maritimes, qui évoque toutes les représentations de la découverte d’un nouveau monde.  Le discours d’Al Gore réinvestit totalement le champ des utopies cybernétiques.

La technologie est érigée comme capable d’assurer une transformation de la société car elle permettra une libre circulation de l’information, l’accès aux savoirs et une vision quasi religieuse du futur faites d’intenses échanges. Par intenses échanges, il est question de favoriser la circulation des biens mais aussi des idées.

Le « village global », un lieu imaginaire déconnecté de la réalité physique et tangible

Le web, figure de proue des utopies cybernétiques, fut un projet politique et économique de grande envergure mené depuis la dernière moitié du XXème siècle.  La technologie guide les humains dans leur (r)évolution et le Web en sera l’étendard. Cet axe de réflexion va considérablement influencer les imaginaires du web et contribuer à en refaçonner constamment les mythes fondateurs pour construire la vision d’une nouvelle société. L’expression « village global », popularisée par Mc Luhan, est aujourd’hui utilisée pour décrire les effets de la mondialisation, des médias et des technologies de l’information et de la communication.

« L’accélération que nous connaissons aujourd’hui n’est pas une lente explosion du centre vers la périphérie, mais une implosion instantanée et une fusion de l’espace et des fonctions. Notre civilisation spécialisée et fragmentaire à structure centro-périphérique subit une réorganisation instantanée de tous ses fragments spécialisés en un tout organique. C’est le monde nouveau du village global »

Mc Luhan, Marshall, 1968, Le village global, p.117

Mc Luhan utilise l’image métaphorique du système nerveux du cerveau humain pour décrire un monde utopique dans lequel les hommes sont indivisibles dans leurs pensées, dans le temps et dans l’espace. Moins de trois siècles avant l’existence d’internet, l’utopie d’une nouvelle société est déjà décrite par Saint-Simon (1760-1825).  En prenant appui sur le métabolisme biologique humain, celui-ci comparait la circulation de l’argent dans la société à celle du sang dans le corps humain.

Le web révèle le concept de progrès dans sa forme la plus mythique, celle d’un réseau vivant, qui s’autorégule et qui, dans les imaginaires, occupe souvent la même place que les idéologies en traitant du bonheur, de l’éternité et d’un avenir meilleur



Breton, Philippe. L’utopie de la Communication l’émergence de « l’Homme Sans Intérieur », Paris, La Découverte, 1992.

Flichy, Patrice. L’imaginaire d’Internet, Paris, La Découverte, 2001.

Musso, Pierre. «  Le cyberespace, figure de l’utopie technologique réticulaire ». Sociologie et sociétés, 32(2), 2000.

Musso, Pierre. « Le comte de Saint-Simon (1760-1825). Penseur du changement social ». Médium, (1), 2008, pp.154-163.

Wiener, Norbert. Cybernétique et société, l’usage humain des êtres humains, traduction Pierre-Yves Mistoulon et Ronan Le Roux, Paris, Seuil, 2014 (1971).

« Chiffres Internet – 2018 », Blogdumoderateur.com. (En ligne). https://www.blogdumoderateur.com/chiffres-internet/ (Consulté en juin 2018)